PLUS LE DIGITAL SE DÉVELOPPE, PLUS L’HUMAIN PREND DE L’IMPORTANCE
14/06/2018
À mesure que le métier de promoteur immobilier évolue et que les nouvelles technologies s’intègrent au bâtiment, la tentation est forte du tout connecté et du tout intelligent. Directeur de l’innovation chez Bouygues Immobilier, Christian Grellier rappelle l’importance de mettre d’abord les services et le l’expérience client au cœur des projets. L’IA doit avant tout libérer du temps pour améliorer le service à l’usager.
Quelles transformations sont aujourd’hui à l’œuvre dans le secteur de l’immobilier ?
Il y a déjà un changement dans l’échelle des projets : On passe de l’échelle du bâtiment à la maille du quartier. On a constaté le déséquilibre des quartiers mono-fonctionnels (cité 100% résidentielle, quartier d’affaires) des années 60-70. Ces quartiers ne sont pas agréables à vivre et génèrent beaucoup des transports contraints domicile-travail. Le soir, un quartier uniquement tertiaire est vide, les commerces sont donc en difficulté, les infrastructures sont mal exploitées et les ressources énergétiques ne sont pas mutualisées. Dans un quartier mixte, on peut mutualiser l’énergie ou les parkings par exemple : ça coûte donc moins cher à la collectivité et à nos clients. Les services de conciergerie retrouvent de la clientèle de jour et de nuit. Ce changement d’échelle crée plus de valeur pour tous. Du côté technique, à mesure que les usages évoluent, les bâtiments doivent devenir plus flexibles. L’intégration des nouvelles technologies dans le secteur immobilier permet aujourd’hui de mesurer ces usages en temps réel et de replacer l’humain au centre.
N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir replacer l’humain au centre en développant les bâtiment connectés et intelligents ?
Il s’agit de prendre le contrepied : à l’époque de l’intelligence artificielle il faut anticiper les services de proximité et apporter de la présence humaine pour nos clients. Je suis convaincu que plus l’intelligence artificielle va se développer, plus l’humain va prendre de la place dans notre métier. L’expertise des métiers porteurs d’une connaissance très pointue, comme l’avocat ou le médecin, va progressivement être embarquée dans des algorithmes. Leurs métiers vont alors se déplacer vers du relationnel, de l’empathie avec leur client et du service à plus forte valeur ajoutée. Le métier n’en sera pas dévalorisé pour autant : au contraire, il sera « augmenté ». C’est aussi vrai vis-à-vis de l’entreprise et vis-à-vis de nos clients. En amont de la vente et après la livraison, beaucoup de services et de nouveaux métiers vont améliorer l’expérience client. Ce positionnement sur les services immobiliers est un enjeu clé pour les années à venir.
Quelles sont les applications concrètes dans le bâtiment ?
Toute l’IA va nous permettre de mieux piloter les bâtiments, par exemple aujourd’hui la gestion d’un bâtiment est resté rudimentaire. Dans une salle de réunion, l’air conditionné, l’éclairage sont gérés et centralisés par le GTB (Gestion Technique du Bâtiment). Si l’on change l’aménagement d’un plateau de bureau, c’est très lourd à re-paramétrer. Demain avec des objets connectés et l’internet sans fil, ce sera très simple : il suffira de changer les capteurs de place. De la même manière, on pourra fluidifier les interventions des exploitants en cas de problème technique sur le bâtiment puisqu’on saura mieux anticiper les dysfonctionnements. C’est le bâtiment lui-même qui alertera les exploitants, plus les occupants : on passera des interventions en urgence à de la maintenance prédictive. Ainsi, au lieu d’utiliser un système de badges d’accès, qui est très contraignant pour l’usager, nous mettons en place des systèmes de reconnaissance de plaque d’immatriculation ou d’accès via smartphone. Une fois ces contraintes évacuées et ces commodités automatisées, on peut mettre plus de valeur dans ce qu’on apporte à nos clients. Parce qu’en parallèle, des services dématérialisés comme Amazon ou Uber deviennent très efficaces et ils habituent l’usager à une prestation rapide, efficace et confortable. Ce niveau d’exigence auquel il est habitué dans le digital, il le veut désormais dans le physique : c’est devenu la référence.
À quoi ressemble le métier de directeur de l’innovation dans un milieu comme l’immobilier ?
Chez Bouygues Immobilier, on a créé la direction de l’innovation il y a une petite dizaine d’années pour anticiper les nouveaux usages dans le domaine du bureau, du logement et de l’urbain. L’innovation dans l’immobilier, ça peut paraître contre-intuitif parce que nous travaillons sur un cycle lent. Entre le moment où on fait le premier coup de crayon et le moment où on livre un logement il se passe entre 18 et 24 mois. On est tentés de dire qu’on saura prendre au vol les innovations qui apparaissent sur le marché, mais les usages et les attentes de nos clients changent également. De plus en plus, on doit être capable de personnaliser le logement pour chacun des clients, comme cela est possible pour sa voiture.
Le rythme lent nous contraint aussi à anticiper davantage que dans des métiers réactifs comme les télécoms ou les médias qui existent au sein du groupe Bouygues, où il est possible de rapidement mettre sur le marché de nouvelles offres. Il s’agit d’identifier les tendances et les nouveaux usages, d’identifier les partenaires potentiels pour nous aider à faire ce que l’on ne sait pas faire seul. Et si ça n’existe pas, on crée des structures ad hoc pour réaliser ces nouveaux métiers : Nextdoor pour les espaces de coworking, Aveltys pour garantir les charges d’un bâtiment, Embix pour développer des smartgrids urbains.
Comment permettre à un bâtiment d’avoir une flexibilité dans ses usages ?
À Issy-les-Moulineaux, nous réalisons le projet Sways qui incarne parfaitement cette flexibilité. L’espace est généreux, 40.000m2 répartis en vastes plateaux complètement aménageables.
Au delà de la flexibilité, on pense à la réversibilité. Cela paraît idiot de détruire un bâtiment de bureau parce qu’il n’est plus attractif. Est-ce que l’on ne pourrait pas envisager des bâtiments hybrides, de commerce, de bureaux, de co-living, permettant de faire évoluer l’usage dans le temps ? On cherche à éviter de faire des morceaux de quartiers qui deviennent obsolètes. Il faut anticiper la tension tertiaire sur le quartier.
À Lyon on monte un projet de bâtiment réversible. Le projet est d’abord un immeuble de bureaux le long de l’autoroute A7, dans une zone sensible. Mais la ville a annoncé qu’elle allait déclasser cette autoroute qui longe le Rhône pour en faire un boulevard urbain. L’attractivité sera bien meilleure d’ici quelques années et il faudra proposer des logements sans tout casser. Si l’on imagine cette flexibilité dès le départ, on prend des mesures conservatoires pour que l’immeuble soit réversible facilement. On intègre des balcons, des fenêtres qui s’ouvrent, on installe des canalisations en attente, autant de choses inutiles pour du bureau mais qui sont nécessaires pour du logement.
Une difficulté incontournable de l’immobilier est de créer une communauté et du lien social dans un quartier neuf. Comment abordez-vous cet enjeu ?
On est en train de développer des conciergeries dans nos quartiers et nos bureaux : une présence humaine qui permet de faire le lien au quotidien avec toutes les personnes qui vivent dans le quartier et de rendre des petits services du quotidien. Nous créons aussi des animations pour la communauté de collaborateurs ou de copropriétaires comme des conférences, des ateliers etc. Notre métier bascule complètement : toute la partie gestion du bâtiment est sous-traitée et nous nous concentrons sur l’organisation de la vie d’entreprise, pour améliorer la performance et le bien-être des collaborateurs. La transformation digitale (IA, Big Data) permet et accélère ce virage de l’immobilier vers les services.
Mais la technologie doit rester un moyen. En ce moment, on fait la promotion de l’application Entre voisins qui est une application de réseau social de résidence. On avait commencé par faire de la domotique, c’est-à-dire qu’on avait fait une télécommande de son logement, pour piloter les équipements à distance (chauffage, éclairage, volets roulants,…). Les résidents nous ont aussi demandé une sorte de Facebook de quartier. C’est ce qu’on a mis en place en connectant les habitants au sein de l’immeuble, d’une résidence et même d’un quartier avec l’intégration des commerces, des services, les informations de transport etc. Dès leur installation dans leur nouveau logement, ils se sentent à l’aise chez eux, ils connaissent leur voisins, ils trouvent une nounou facilement. Ils créent très rapidement une relation complète avec leur résidence et le territoire où ils sont installés. En cela, le digital est un véritable accélérateur de relation humaine. On recrée une place de village.