MIPIM 2024 - Décarboner le futur : L'immobilier peut-il relever le défi de la neutralité carbone ?
23/04/2024
« La volonté d’atteindre la neutralité carbone doit devenir la nouvelle norme pour tout le monde, partout, pour chaque pays, entreprise, ville et institution financière ». Cet appel lancé en 2020 est celui du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres. Depuis près de dix ans maintenant, plus d’une centaine de pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 suite aux accords de Paris. Mais que cache cette notion et comment le secteur immobilier peut-il y contribuer ?
Pour parler neutralité, commençons par une petite métaphore, celle de la baignoire. Nous sommes, aujourd’hui, face à une baignoire remplie d’eau et sur le point de déborder. D’un côté, le robinet déverse un torrent d’eau - nos émissions de gaz à effet de serre. De l’autre côté, nous disposons de siphons qui évacuent cette eau - nos puits de carbone comme les forêts, les sols, ou encore les technologies d’émissions négatives.
La neutralité carbone, c’est un équilibre entre le robinet et le siphon, entre les émissions anthropiques d’un côté, et les puits carbone de l’autre. Mais comment l’atteindre et éviter que la baignoire ne déborde ? Réponses avec Guillaume Carlier, directeur de la Stratégie Climat chez Bouygues Immobilier, Raphaële Thévenin, ingénieure spécialiste Bâtiment et Stratégie au sein du cabinet Carbone 4 et François Gemenne, professeur à HEC, auteur principal du GIEC et spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement, à l’occasion du MIPIM 2024.
Compensation partout, réduction nulle part ?
La bonne nouvelle, c’est que la feuille de route du secteur immobilier est très claire. Il s’agit, en premier temps, de construire moins carboné, en prêtant une attention particulière au choix des matériaux (et notamment au béton), de soigner le vecteur énergétique des bâtiments, et enfin, de rénover et artificialiser le moins de sols possible afin de préserver les puits de carbone. Une feuille de route soutenue par Bouygues Immobilier : « En matière de transition, soit on prend des projets exemplaires et on se cache derrière, soit on décide de décarboner nos productions. C’est cette deuxième voie que nous suivons depuis maintenant plus de 3 ans. Très concrètement, nous avons deux chantiers prioritaires : sortir des énergies fossiles, et notamment du gaz, et sortir du béton conventionnel le plus rapidement possible » développe Guillaume Carlier.
Mais gare aux fausses promesses et à l’arbre planté qui cache la forêt : « Chez Bouygues Immobilier, nous sommes très méfiants de tout ce qui touche à la compensation. Nous préférons une approche régénérative des écosystèmes. » Car le constat est sans appel : la moitié des arbres plantés à des fins de compensation carbone sont déjà morts.
Si c’est donc vers la réduction que tous les efforts doivent être dirigés, pas question pour autant de jeter le bébé avec l’eau du bain pour François Gemenne : « Il faut évidemment continuer à financer les projets de plantation d’arbres mais on ne peut pas compenser comme on achèterait une indulgence à l’église pour se faire pardonner de ses péchés » !
Avancer malgré la crise
La voie et la méthodologie sont donc claires, mais le contexte, lui, est tendu. Alors que le secteur immobilier traverse une crise d'une ampleur considérable, comment financer la nécessaire transition ? « Le béton bas carbone, la pleine terre, tout cela coûte plus cher. Mais dans le même temps, les fonciers ont bondi de 200%. Il faut donc flécher les besoins. On peut également gagner en gains de productivité pour vendre moins cher » détaille Guillaume Carlier.
Car la crise a l’avantage de nous faire poser une question stratégique cruciale : comment construire un business résilient ? Selon Raphaëlle Thévenin, les sources de financement sont multiples : par le biais d’investisseurs qui cherchent à aligner leurs portefeuilles avec les accords de Paris, par une régulation des taux d’intérêt au niveau européen pour tous les projets décarbonés, ou même par le transfert de richesses entre générations. « Et si, par exemple, on modulait les droits de succession en fonction des investissements dans la rénovation thermique ou énergétique ? » s’interroge François Gemenne.
Et sur le plus long terme ? « Nous allons avoir besoin de prendre des mesures radicales mais cela ne préfigure pas nécessairement d’un futur sombre et terrifiant, au contraire. J’ai très hâte d’être en 2050 » s’enthousiasme François Gemenne. Voilà qui est dit !